Y a pas à dire...

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Chris de Stoop

Daniel Maroy est un vieil homme très particulier qui vit retiré dans l’ancienne ferme familiale sans grands contacts avec ceux du village. Sauf quand il s’y rend en fin de semaine pour faire des courses au supermarché où on le fait entrer à l’heure de fermeture afin que sa dégaine déplaisante n’incommode aucunement les clients. Il n’y a nulle gêne à exhiber le paquet d’argent qu’il garde plein les poches malgré la désapprobation du patron, le vieux Daniel n’a pas confiance dans les banques. Son manège ne laisse pas indifférent dans le supermarché, le bruit court vite que le vieil homme est bourré aux as. Une bande de petits malfrats locaux décide d’aller le vérifier par eux-mêmes à la ferme. Ils battent le vieux longtemps. D’autres reviennent et terminent le travail à coups de manche de fourche, mettant le feu ensuite pour effacer les traces. Mais les petites frappes ne sont pas bien discrets, ils affichent les achats que leur ont permis l’argent du vieux Daniel. Et surtout, ils parlent. Chris de Stoop est un petit-neveu de « l’oncle » tué, il assiste comme seul membre de la famille au procès des jeunes voyous. Le journaliste qui a jusqu’ici écrit sur les abîmés de la société est cette fois touché de près avec ce crime. Son récit est plus que le compte-rendu judiciaire de la tragédie, il est un besoin de comprendre une communauté de Wallonie, et au-delà cette nouvelle culture d’indifférence, qui savait mais qui s’est tue.

« À travers Daniel, paysan excentrique et bourru qui descendait faire ses courses en tracteur, l’auteur décrit non seulement un personnage mais un mode de vie, un système de valeurs, une conception du monde. Issu d’une lignée d’agriculteurs, le grand-oncle vivait dans une fidélité totale à la terre de ses ancêtres, à leur existence faite de patience, de travail, d’humilité. Ne comptaient à ses yeux que ses cinq vaches, dont il était fou, et son indépendance. » 1

« C’est un samedi qu’il est mort. On peut faire commencer l’histoire au supermarché. Tout le monde le sait que Daniel Maroy ne se déplace pas sans son argent. Il sort ses liasses de billets, combien de fois lui a-t-on dit que ce n’était pas raisonnable. Ici, il est connu, il est même estimé. La caissière l’apprécie, et la boulangère. On dit que resté seul il s’est aigri, replié. Pour un être asocial, il est quand même capable de sympathiser avec le garçon dont il a embouti la voiture avec son tracteur, et d’encourager le stagiaire du stand de boucherie. Le stagiaire est une pipelette. » 2

« Une fois par semaine, Daniel se rend au supermarché local, généralement le samedi soir lorsque le magasin n’est pas bondé. Les propriétaires le lui avaient d’ailleurs suggéré, certains n’aimaient pas voir apparaître l’homme mal habillé. Il paye toujours en espèces, sortant avec désinvolture une liasse de billets. Il ne croit pas aux banques, il a toujours son argent dans sa poche. Un employé du magasin le remarque et parle à ses amis de l’homme débraillé qui a apparemment toujours beaucoup d’argent sur lui. Deux coquins locaux, membres des « Bende van Evernijs », projettent de le voler. Ils l’escroquent de 13 000 euros, le battant longuement. Le lendemain, deux autres visitent également Daniel, leur butin s’élevant cette fois à 6 000 euros. Les membres du gang se rendent plusieurs fois à la ferme et y mettent finalement le feu. Ils avaient probablement déjà tué le pauvre homme lors d’une précédente visite. 3

« Une fourche. Une étagère de la remise. Un vieux poêle à charbon. Au milieu de ses objets du quotidien, le vieux fermier solitaire Daniel Maroy (84 ans) est tué en 2014. Il devient vite évident que le gang de jeunes du village du Hainaut est impliqué, tous des garçons entre 18 et 21 ans. Le petit-cousin du fermier est Chris de Stoop (62 ans), auteur de livres à succès tels que « Elles sont si gentilles, monsieur » et « Ceci est ma ferme ». De Stoop retourne ainsi chaque pierre du village pour écrire un livre magistral sur le vieil ermite dont personne ne se souciait. » 4

« Daniel, c’est un oncle de Chris de Stoop. Il avait 84 ans, il tenait encore, tout seul, une ferme à Saint-Léger. C’était un marginal, qui ne voyait quasiment plus personne. Et à qui la banque et le Colruyt demandaient de venir juste avant la fermeture pour ne pas effaroucher les clients. Il devait avoir de l’argent, non ? ce vieux type. C’est ce que se sont dit des jeunes du coin. Alors deux d’entre eux l’ont attaqué et dépouillé, dans sa ferme. Puis s’en sont vantés. Et deux autres jeunes y sont retournés le soir même. Daniel a été frappé avec un manche de fourche et le poêle a été jeté sur son corps. Une semaine plus tard, ces jeunes ont mis le feu à la ferme pour ne pas laisser de traces. Mais ils ont tellement parlé de leurs « exploits » qu’ils ont été arrêtés et renvoyés en cours d’assises. Cinq accusés. Et, en face, Chris de Stoop, seule partie civile. » 5


« Au fil des pages, c’est un sentiment de stupéfaction qui se dessine. Devant les faits d’abord : Daniel a été laissé pour mort par des jeunes qui ont filmé l’agression, puis sont retournés sur les lieux une semaine plus tard pour incendier le corps. Devant l’indifférence ensuite : personne n’a donné l’alerte alors que la bande s’est vantée de son crime et a paradé avec tout ce qui a été acheté grâce au butin. » 6

« Au procès des meurtriers de son oncle Daniel, devant les assises de la ville de Mons (Hainaut), en 2019, Chris de Stoop s’est présenté avec une photo. Un cliché datant d’une quarantaine d’années, le plus récent qu’il ait trouvé. Il voulait, par ce geste, au vieil homme défunt redonner un visage : « Il approche de la cinquantaine, alors. Il est bien de sa personne, a un petit sourire aux lèvres, des yeux perçants et un large front un peu dégarni […] Il est vêtu d’un costume sombre, avec une cravate rayée rouge, et dégage déjà une certaine solitude… » Car Daniel Maroy était un individu solitaire. »  7

Le Livre de Daniel (Het Boek Daniel) de Chris de Stoop, traduit du néerlandais par Anne-Laure Vignaux, Éditions Globe

1 Bernard Quiriny, Lire Magazine Littéraire, juin 2023

2 Claire Devarrieux, Libération, 6/7/8 mai 2023

3 John Vervoort, Het Nieuwsblad, 21 septembre 2020

4 Katrien de Meyer, Het Laatste Nieuws, 12 septembre 2020

5 Jean-Claude Vantroven, Le Soir, 20/21 mai 2023

6 Geneviève Simon, La Libre Belgique, 16 mai 2023

7 Nathalie Crom, Télérama, 7 juin 2023

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