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Pierre Lemaître

Hélène, la seule fille des jeunes Pelletier, c’est la personne que l’auteur aurait pu être dans les années cinquante, tant la fureur au sujet des injustices faites aux femmes dans la deuxième partie de sa tétralogie sur la saga de cette famille en ferait presque oublier qu’il est un homme. Les Trente Glorieuses sous l’angle du refus d’écouter les revendications féminines n’en ressortent pas aussi rayonnantes sur ses pages. Les combats étouffés par les inflexibles règles patriarcales, et notamment l’obligation de la clandestinité pour avorter qu’Hélène, enceinte du patron du journal où elle propose ses reportages, envisage pour elle-même, ou les conditions de travail des ouvrières opprimées par leurs supérieurs masculins, se mélangent avec les événements de cette décennie et ceux qui compromettent plus spécialement cette famille originaire du Liban. Comme les accès de rage criminelle de Jean, le plus jeune frère. Le tout sur fond d’un barrage hydroélectrique prêt à recouvrir un paisible village, la mobilisation valeureuse de ses habitants ne pouvant arrêter le cours implacable de la modernité.

« Pierre Lemaître brosse le portrait d’une France en plein essor, mais aussi répressive, quand il s’agit d’avortement, et obsédée par le progrès et les grands chantiers, au point d’oublier la mémoire des hommes. Le Grand Monde était un roman d’aventures qui faisait son lecteur, Le Silence et la Colère se déplace moins et joue la carte sociale, le combat des femmes, la lutte ouvrière. Le romancier va droit au bu, pétaradant et nourri de ses lectures populaires, du côté de Zola, Dumas ou Flaubert, mais aussi de Roger Martin du Gard ou de Simenon. » 1

« Roman d’une femme qui veut s’affranchir du pouvoir des hommes, roman aussi de la tragédie d’un village qui se bat pour son existence condamnée par la construction d’un barrage, « Le Silence et la Colère » résonne d’interrogations sur le prix de la liberté et du progrès. Il y a du Joseph Kessel dans cette saga et du vif-argent chez cet auteur, animé par autant d’énergie que son œuvre. » 2

« Lemaître nous emmène dans les bouleversements d’une époque, notamment lorsque s’amorce le passage du silence à la colère des femmes. Leur libération, qui se joue au foyer par l’arrivée de la technologie au service des tâches domestiques, au travail, avec un soulèvement d’ouvrières, jusqu’à celle du corps, derrière la répression pénale des avortements de grossesses non désirées. » 3

« Le silence, c’est celui d’une époque où l’avortement est considéré comme un crime, la colère, c’est celle qui bout dans la vallée qui va être submergée par l’eau d’un barrage. La famille Pelletier, déchirée entre un patriarche au Liban, un boutiquier soumis à une virago à Paris, et un frère et une sœur journalistes, est un nid de vipères. Pierre Lemaître met en scène avec une virtuosité de magicien, les haines, les peurs, les désirs des Trente Glorieuses. » 4

« Dans le portrait du XXe siècle français en dix volumes conçu par Pierre Lemaître, Le Silence et la Colère saisit avec subtilité un moment charnière, celui de la laborieuse entrée du pays dans la modernité technologique. En 1952, les Pelletier et la France tout entière ont encore un pied dans le monde empesé d’avant-guerre. Jean rêve de créer un grand magasin comme Tati, mais se heurte à une série d’obstacles. Pour avorter, Hélène doit ruser avec les lois en vigueur et la police tout droit sortie de Vichy. » 5

Le Silence et la Colère de Pierre Lemaître, Éditions Calmann-Lévy

1 Christine Ferniot, Télérama, 4 janvier 2023

2 Olivia de Lamberterie, Elle, 5 janvier 2023

3 Julie Malaure, Le Point, 12 janvier 2023

4 François Forestier, L’Obs, 22 décembre 2022

5 Denis Cosnard, Le Monde, 6 janvier 2023

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