Princesse, Laure Murat l’est vraiment. Et non pas comme la petite chienne que son maître rappelle dans la rue et qui la fait se retourner, ainsi qu’elle aime en raconter l’anecdote. Son père est de la lignée du maréchal de Napoléon, promu roi de Naples après son mariage avec la sœur de ce dernier, et de l’autre aristocratie, vue comme la plus légitime du côté de sa mère puisqu’elle remonte à très loin dans l’Histoire. Mais l’auteure n’a que faire de toute cette tartine de conventions vers lesquelles les siens la condamnent parce qu’issue de ces deux écrasantes lignées. À vingt ans elle lit La Recherche et elle comprend soudain tout des mondanités surannées et gluantes que les deux bords familiaux essaient de lui imposer. Surtout celui de sa mère qui lui renvoie froidement son mépris pour son homosexualité déclarée. Proust lui donne les outils de son propre mépris pour cette caste tellement hors du temps qu’elle n’en réalise pas son insignifiance dans le monde présent.
« Issue par son père de la noblesse d’Empire et par sa mère de la noblesse d’Ancien Régime, Laure Murat a grandi dans le monde décrit par Marcel Proust dans À la recherche du temps perdu. Lorsqu’elle lit l’écrivain (qui avait connu ses arrière-grands-parents), elle a 20 ans et son existence bascule. Elle prend conscience qu’elle évolue dans un milieu où, le pouvoir et l’argent ayant « changé de mains », pour reprendre les mots de sa mère, ne subsistent plus que les rites, les manières, les codes, un monde de pures formes. Lire La Recherche la libère et lui permet de tracer son propre chemin, alors que la confession, à sa mère, de son homosexualité lui vaut d’être exclue de sa famille – ladite homosexualité étant moins impardonnable que le fait d’en avoir fait mention. » 1
« On ne peut pas être sûr de grand-chose en ce bas monde, mais accordons-nous sur un constat : les proustiens sont de curieuses bêtes. Ils s’enferrent dans un roman de 2 400 pages, réparties en sept tomes, et semblent en tirer un secret sur le monde et la société qui ne les quitte plus et dont il bassine leur entourage. Laure Murat est du nombre de ces drôles d’oiseaux. » 2
« Longtemps Laure Murat a cru que les personnages de la « Recherche » étaient des oncles ou des cousines qu’elle n’avait pas encore rencontrés. Toute son enfance, elle entend leurs noms, qui se mêlent à ceux, familiers, des modèles qui les ont inspirés. La vingtaine venue, elle s’attaque enfin au roman forteresse : une découverte « stupéfiante », un enchantement et surtout, note-t-elle, un livre qui l’autorise « à relire le réel sous un autre jour ». Ce qui est fascinant dans ce que raconte Laure Murat, c’est la façon dont sa réalité s’enchevêtre à la fiction proustienne. Proust, souligne-t-elle, aurait parfaitement pu assister au mariage de ses parents. Il aurait eu 88 ans. » 3
« Laure Murat n’a pas voulu se conformer à ce qu’on attendait d’elle : se marier dans sa caste, avoir des enfants et prolonger les feux mourants de l’aristocratie. Elle a rompu avec une famille qui ne voulait plus d’elle parce qu’elle avait sauté à pieds joints par-dessus le rang. Elle est partie enseigner aux États-Unis, elle vit avec une femme et elle n’a pas d’enfant. En lui révélant, par une critique souvent cruelle, la vérité de son milieu social, Proust l’a libérée. » 4
« Laure Murat multiplie les allées et venues entre sa propre existence et la Recherche. Sa parentèle est-elle proustienne ou au contraire est-ce elle qui a donné sa matière à la « cathédrale » de Proust ? » 5
Proust, Roman Familial de Laure Murat, Éditions Robert Laffont
1 Minh Tran Huy, Madame Figaro, 29 septembre 2023
2 Robin Verner, Marianne, 28 septembre 2023
3 Élisabeth Philippe, L’Obs, 21 septembre 2023
4 Tiphaine Samoyault, Le Monde, 15 septembre 2023
5 Étienne de Montety, Le Figaro, 7 septembre 2023