Y a pas à dire...

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Gaspard Kœnig

Qui aurait pensé que le lumbricus terrestris pouvait être le personnage principal d’un roman ? C’est pourtant le cas dans Humus de Gaspard Kœnig où ce modeste ver de terre lutte pour sa place dans un environnement toujours plus bétonné et dénonce ainsi ce qui s’effondre dans le monde actuel. Deux étudiants en agronomie, Arthur et Kevin découvrent les pouvoirs d’aération des sols et du modelage des paysages des lombrics lors d’une conférence sur la géodrilologie qui va entraîner leurs deux destinées vers des trajectoires différentes. Arthur parle bien, trouve naturellement les formules philosophiques, est à l’aise dans la belle société de ses parents, mais aspire à un activisme écologique qu’il sait pourtant déjà vain. Kevin, vient lui d’un Limousin agricole besogneux, il préfère le bon sens hors des textes, il a le contact facile et la sexualité flottante, « comme il était bon », il accède sans peine aux sommets des études des sols à AgroParisTech. Le premier rêvant d’une réintroduction des lombrics pour réparer les méfaits d’une agriculture trop pesticidée, le deuxième comprenant l’utilité plus capitalistique des mêmes petites bestioles fouisseuses, leurs univers se désolidarisent une fois leur diplôme en poche. 

« Dans un grand chassé-croisé socio-économique, Arthur rejette l’héritage familial, le poids du père ténor du barreau, et décide de reprendre la ferme du grand-père pour y régénérer les sols rongés par des décennies d’intrants chimiques. Kevin prend le chemin inverse, rejoint HEC et monte son entreprise de valorisation de déchets entre levées de fonds dantesques et hypocrisie du « greenwashing ». Les lombrics ne sont jamais loin d’eux : Arthur les réintroduit dans la terre craquelée pour y ramener la vie et Kevin s’appuie sur eux pour absorber les déchets que son entreprise entend valoriser grâce au « lombricompostage ». Il faut dire que ces petits invertébrés jouent un rôle de premier ordre dans le transfert des éléments nutritifs – la bioturbation – et donc dans la santé des sols… Animal ingénieur, le lombric creuse, absorbe du déchet, fertilise l’écosystème : pas étonnant que le dernier ouvrage de Charles Darwin avant sa mort consacre l’importance capitale du ver dans l’histoire de notre planète ! » 1

« Arthur a toujours la bonne référence littéraire ou la réplique qui fait mouche. Idéaliste, il rêve de sauver le monde. Fils d’ouvrier agricole du Limousin, Kevin a plus vécu que lu. Personnage balzacien et séducteur, il espère conquérir Paris. Après le diplôme, leurs chemins se séparent, chacun tente de « trouver un rôle dans l’effondrement à venir ». Arthur choisit l’agriculture alternative, Kevin, le capitalisme vert. Les deux jeunes hommes rencontreront nombre d’embûches sur leur route et devront survivre dans des milieux sociaux jusque-là inconnus pour eux et dont ils ne maîtrisent pas les codes. » 2

« De quoi faire de leur existence une épopée en cinémascope, portée par deux personnages incroyables, deux étudiants sorte de Bouvard et Pécuchet du compost que nous allons suivre au travers de leurs destins croisés, eux aussi hors normes. Arthur, enfant de la bourgeoisie, tentera de régénérer le champ familial ruiné par les pesticides. Kevin, fils d’ouvriers agricoles, lance une start-up de vermicompostage. Rangé dans les « bisexuels », ce dernier qui se régale des corps, préfère se définir comme « pansexuel », ne se sentant ni gay, ni bi, ni trans, ni queer, ni intersexe, ni asexué. Sa sexualité rejoint donc celle du lombric, dont on nous fait découvrir ici les mœurs et coutumes en des pages souvent drôles et surtout, elles aussi, très scientifiques. » 3

« Le vermicomposteur devient une cause, les épigés (les vers de fumier), des étendards. On assiste même, dans Humus, à une scène de copulation entre lombrics dont la charge érotique en étonnera plus d’un. Anarcho-rural. On y rit, aussi, abondamment, des mondanités labellisées développement durable dans un « manoir cent pour cent responsable », où il est de bon ton de « clamer la mort du patriarcat mais [d’]attendre tout de même que la maîtresse de maison ait saisi sa fourchette avant d’entamer son plat ». On s’y moque aussi des capital-risqueurs repeints en vert, des postures d’un ministre rhabillé pour l’hiver et, surtout, du microcosme médiatique – une hilarante scène de portrait pour Libé, avec une mention spéciale pour les bouffonneries jargonneuses d’heureux titulaires de bullshit jobs…» 4

« Arthur est un fils d’avocat qui prône « la sobriété en tout » ; Kevin est un simple « gars de la campagne » qui se retrouve mêlé aux futures élites de la terre. « Première biomasse animale terrestre », les lombrics vont les rapprocher. Puis leur faire prendre des voies opposées. Arthur récupère un petit lopin de terre normande pour y réintroduire des vers (« inoculation lombricienne »). Kevin se laisse entraîner dans la création d’une start-up de vermicompostage qui voit le jour grâce à des fonds d’investissement américains. C’est le retour aux vieilles sagesses paysannes contre le business vert. » 5

Humus de Gaspard Kœnig, Éditions de l’Observatoire

1 Marceau Cormerais, Les Echos, 1er septembre 2023 

2 Kévin Boucaud-Victoire, Marianne, 24 août 2023

3 Jean Remi Barland, La Provence, 24 août 2023

4 Étienne Gernelle, Le Point, 7 septembre 2023

5 Michel Audétat, Le Matin Dimanche, 27 août 2023

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