Y a pas à dire...

... ou mieux dit par d'autres

Cormac McCarthy

Juste avant de laisser un immense vide dans la littérature américaine, et dans la littérature mondiale, l’écrivain nous a donné coup sur coup deux romans, Le Passager au sujet d’un frère parfois trop proche de sa sœur, mais qui n’est pas près d’elle pour la sauver, et Stella Maris, qui examine les troubles intérieurs de celle-ci avant son suicide. Quand le premier entraîne Bobby dans les profondeurs du Golfe du Mexique à la recherche d’une personne manquante dans un avion tombé en mer, et qui avise à la place un secret dont il aurait mieux valu qu’il lui restât étranger, le suivant est un dialogue, souvent surréel et inquiétant, mais toujours extrêmement drôle, entre Alicia et son psy. Car si on parle beaucoup dans les deux ouvrages, jusqu’à échanger de l’un à l’autre, on le fait plus encore dans le second. Les entretiens tempétueux où les mathématiques se projettent dans les hauteurs d’un entendement seulement pénétrés par les reconnus de la science quantique forment de fait la vraie trame du texte. Le père, un physicien du projet Manhattan, a légué au frère et à la sœur surdouée le sujet de conversation de leur proximité au bord de l’incestueux, mais ce sont ces mêmes nombres et équations qui plongent Alicia dans sa descente enténébrée. Jusqu’à vouloir en finir par pendaison dans les bois environnant la clinique psychiatrique où elle s’était elle-même faite internée. La mort revenant en thème récurrent dans l’œuvre de McCarthy.

« Le titre fait référence non pas à une jeune cavalière à l’esprit sévère, ce que vous pourriez imaginer si tout ce que vous saviez de McCarthy était sa trilogie Border, mais à un hôpital psychiatrique de Black River Falls, dans le Wisconsin. C’est là qu’une jeune femme de 20 ans, Alicia Western, doctorante en mathématiques à l’Université de Chicago, s’est inscrite après plusieurs hallucinations. Au centre de ses visions se trouve un nain shambolique à nageoires et au sens de l’humour tordu connu sous le nom de Thalidomide Kid. Alicia a également avec elle un sac en plastique rempli d’une somme de $40 000 qu’elle tente de remettre au réceptionniste. » 1

« On pensait que Cormac McCarthy pouvait sereinement s’en tenir là. Ce que l’on a cru longtemps. Avant l’annonce de son double retour aux affaires, après quinze ans d’interruption, avec « Le Passager » et « Stella Maris », traduits par Serge Chauvin et Paule Guivarch en mars et mai dernier. Deux livres imbriqués l’un dans l’autre qui se parlent et se répondent. Le sublime et poignant dernier tour de piste d’un maestro au sommet de son art. » 2

« Neuf entretiens de la toute jeune femme avec son psychiatre constituent la matière vive du livre, et ce dispositif est à bien des égards un défi à la narration, produisant, en dépit des dispositions incontestables de McCarthy pour l’art du dialogue, un roman essentiellement désincarné, rhétorique et statique – même si les souvenirs et réflexions d’Alicia l’entraînent vers le passé, son enfance de surdouée solitaire, éclairée par la seule présence de ce frère adulé ; la déchéance et la mort de leur père, physicien ; l’Amérique des années 50 et 60… » 3

« Véritable « passager » du texte, le lecteur est embarqué, ballotté, parfois perdu. McCarthy provoque en nous deux syndromes : celui de Stockholm, qui nous rend amoureux de l’homme qui nous capture et nous fait prisonnier de son œuvre, même quand elle nous dépasse ou nous égare, et celui de Stendhal, qui nous fait tomber en extase devant la puissance de cette littérature. » 4

« Stella Maris est constitué de dialogues, sans verbes introducteurs ni didascalies, entre une patiente schizophrène paranoïde et son médecin – dialogues dans lesquels il est surtout question de sciences dures et de théories mathématiques. Je ne comprenais pas toujours tout (litote), mais je ne parvenais pas à poser le livre : la netteté, la précision, l’excellence de ces dialogues (et de leur traduction) étaient un hameçon finement stylisé qui ne laissait aucun répit au poisson-lecteur que j’étais. » 5

Le Passager (The Passenger), Stella Maris de Cormac McCarthy, traduits de l’anglais par Serge Chauvin et Paule Guivarch, Éditions de l’Olivier

1 Dwight Garner, The New York Times, 28 novembre 2022

2 Alexandre Fillon, Les Echos, 15 juin 2023

3 Nathalie Crom, Télérama, 3 mai 2023

4 Élise Lépine, Le Point, 9 mars 2023

5 Christian Garcin, Libération, 17/18 juin 2023

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Facebook
Twitter
LinkedIn
Pinterest
WhatsApp
Email